Qualité des produits carnés selon leur condition de producion et de transformation
Les qualités des aliments d’origine animale dépendent de nombreux paramètres comme le mode d’élevage mais aussi le process de transformation.
L’INRAE (l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) restituent les conclusions d’une expertise scientifique collective sur la qualité des aliments d’origine animale le 29 mai 2020, Demandée par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et par FranceAgriMer.
La qualité des aliments d’origine animale selon les conditions de production et de transformation
La qualité d’un produit se définit par l’ensemble des propriétés qui lui confèrent l’aptitude à satisfaire des besoins exprimés ou implicites d’un utilisateur (AFNOR, ISO9001).
Dans l’expertise, la qualité a été déclinée selon sept propriétés
Les 7 propriétés constitutives de la qualité des aliments d’origine animale.Source : Esco.
Les propriétés organoleptiques, sanitaires et nutritionnelles sont directement liées à l’acte de manger ; les propriétés commerciales, technologiques et d’usage dépendent des pratiques des acteurs professionnels et des consommateurs ; les propriétés d’image couvrent les dimensions éthiques, culturelles et environnementales associées aux conditions de production, de transformation et de l’origine d’un aliment. Elles participent de manière importante à sa perception par les consommateurs et sont particulièrement valorisées dans les produits sous signes de qualité.
Si certaines propriétés peuvent être mesurées plus ou moins facilement,
comme la composition nutritionnelle et le degré de contamination, ou
disposent d’indicateurs reconnus (la couleur, le pH…), d’autres sont plus difficiles à apprécier. Ainsi les méthodes d’évaluation des propriétés d’usage sont encore peu formalisées. Les critères et indicateurs des propriétés d’image sont nombreux et complexes à définir et le résultat de la comparaison de différents produits peut dépendre de l’unité fonctionnelle choisie. Certaines propriétés organoleptiques (odeur et flaveur) et technologiques sont techniquement difficiles à prédire à partir de la matière première. Quelques outils agrègent différents éléments. Le Nutriscore, système d’étiquetage nutritionnel apposé sur les emballages des aliments pré-emballés, par exemple est construit à partir de critères liés à la composition des aliments. Quant au Meat Standard Australia (MSA), il s’agit d’un système d’information aux consommateurs et de paiement des éleveurs, développé en Australie, qui s’appuie sur un modèle de prédiction de la qualité de la viande intégrant des propriétés organoleptiques. Aucun système n’apprécie l’ensemble des propriétés conjointement et il est à noter que les approches multicritères sont rares.
Comparativement à la moyenne mondiale, le régime alimentaire dominant en Occident se caractérise par sa proportion élevée d’aliments d’origine animale.
Cette forte consommation est remise en question sur le plan :
- i) de l’environnement, pour son impact sur le climat et l’usage massif de ressources naturelles,
- ii) de la santé humaine, des niveaux élevés de consommations de viandes étant associées à un risque accru de certaines maladies chroniques,
- iii) de l’éthique, avec des préoccupations sociétales accrues envers le bien-être animal et les conditions de production, de transport et d’abattage. Ces questionnements s’adressent à un secteur où coexistent des modèles de production et de transformation très contrastés.
Pour des raisons de santé et d’environnement, de grandes organisations
internationales, comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou
l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO),
recommandent de réduire la part des aliments d’origine animale dans
l’alimentation humaine.
À l’échelle française, en 2019, Santé Publique France a actualisé les recommandations nutritionnelles pour les adultes, indiquant, pour la première fois, une quantité hebdomadaire à ne pas dépasser pour la consommation de charcuteries et de viande de boucherie et introduisant des recommandations spécifiques pour les légumes secs et les produits céréaliers complets et peu raffinés en raison de leur richesse en fibres (voir tableau ci dessous).
Catégorie | Objectif | Recommandations |
---|---|---|
Poissons | ALLER VERS | 2 fois par semaine, dont 1 poisson gras |
Produits laitiers | ALLER VERS | 2 fois par jour |
Charcuterie | RÉDUIRE | Maximum 150 g par semaine |
Viandes | RÉDUIRE | Maximum 500 g (bœuf, veau, mouton, agneau, abats) par semaine - Privilégier la volaille |
Légumes secs | AUGMENTER | Minimum 2 fois par semaine |
Céréales peu raffinées | AUGMENTER | Quotidiennement |
La consommation des aliments d’origine animale augmente à l’échelle de la
planète (prévision de +20-30% d’ici 10 ans) avec une répartition géographique très hétérogène. Si les pays de l’OCDE, de l’Asie du sud-est, et la Chine, voient leur consommation carnée augmenter depuis les années 1970, la consommation du reste du monde évolue très peu et reste à des niveaux bas.
En Europe, la consommation de viandes, d’œufs et de poissons stagne ou baisse sauf pour la volaille. Un français mange en moyenne 7.6 kg équivalent carcasse) de moins qu’il y a 20 ans, baisse principalement imputable à la viande bovine .
Évolution de la consommation d’aliments d’origine animale entre 1970 et 2013, en kg/personne/an (base 100 = 1970). Remarques : Produits de la mer = Poissons et fruits de mer ; Produits laitiers = Lait, de consommation et transformé hors beurre ; pour les viandes les données sont en kilogramme équivalent carcasse (kg ec). Source : Ourwolrdindata.org
Cette tendance correspond à ce qu’observe une étude internationale récente montrant que la relation entre la consommation de viandes et le produit intérieur brut suit une forme en U renversé. Bien que des « flexitariens » qui désignent des régimes dont la réduction de consommation d’aliments d’origine carnée est variable, mais leur mise en avant est un signe de transition alimentaire vers des régimes intégrant davantage de protéines végétales.
L’intérêt nutritionnel des produits animaux repose sur leur teneur en protéines de haute valeur nutritionnelle et sur un apport en acides gras et en minéraux et vitamines parfois spécifiques. La spécificité des produits d’origine animale dans notre alimentation est d’être les pourvoyeurs alimentaires majoritaires en AGPIn-3 (acides gras polyinsaturés, aussi appelés oméga 3) à longue chaine, et en vitamine B12, et de fournir tous les acides aminés essentiels et des minéraux beaucoup plus facilement assimilables lors de la digestion.
La grande diversité de la teneur en lipides et du profil en acides gras selon le produit amène à des effets contrastés. Une proportion élevée d’acides gras polyinsaturés oméga 3 (AGPI n-3), comme dans la chair de poisson gras ou les aliments issus d’animaux nourris avec des végétaux riches en oméga 3 (herbe, certains oléagineux), est bénéfique pour la santé (développement du système nerveux et cognitif de l’enfant, réduction des maladies chroniques). Au contraire, les effets délétères de certains acides gras saturés conduisent à préconiser que leur consommation reste inférieure à 12% de l’apport énergétique total, même si ces effets sont parfois remis en cause.
La vitamine B12, impliquée dans le développement fœtal et les fonctions
cognitives, est spécifiquement fournie par les aliments d’origine animale. Sans ces derniers, une complémentation de l’alimentation humaine par prise de compléments alimentaires est nécessaire. Les études épidémiologiques ont montré que les végétariens ne présentaient pas plus de problèmes de santé que les non-végétariens même si les teneurs en micronutriments de leurs réserves corporelles sont plus faibles, mais que les végétaliens présentaient une prévalence plus élevée d’insuffisance pour certains nutriments dont la vitamine B12.
Le profil en acides aminés des protéines d’origine animale est équilibré par
rapport aux besoins alimentaires humains, avec une haute digestibilité. Du fait de la présence d’acides aminés indispensables, dont les besoins doivent être pourvus par l’alimentation, ces protéines sont particulièrement adaptées pour certaines populations comme les séniors, les enfants en croissance, les sportifs.
Les minéraux (fer, calcium, zinc) d’origine animale sont plus facilement
disponibles et les acides aminés indispensables d’origine animale ont un profil plus équilibré par rapport aux besoins humains. Il s’agit donc d’outils de prévention contre les carences, notamment pour les femmes enceintes, les jeunes enfants et les personnes âgées. A titre d’exemple, pour absorber 100 mg de calcium, il faut manger 30 g de fromage de type emmental, 500 g de chou ou 2 kg d’épinard.
Les études d’épidémiologie nutritionnelle permettent d’établir des associations entre la consommation d’aliments d’origine animale et le risque accru ou diminué face à certaines maladies chroniques, comme le diabète, l’obésité, les cancers, les maladies cardio-vasculaires (MCV) et neurodégénératives (MAMA :maladie d’Alzheimer et apparentées). Ces associations sont qualifiées par le niveau de preuve associé aux résultats.
Les associations varient, selon le type de produit, les pathologies ou encore selon le niveau de preuve. Par exemple, la consommation de produits laitiers est associée à une diminution du risque de cancer colorectal (niveau de preuve convaincant) et du risque de cancer du sein (suggéré) et à une augmentation du risque de cancer de la prostate (suggéré) (voir Tableau ci dessous).
Niveau de preuve des associations entre la consommation de produits animaux et les maladies chroniques (Cancers, maladies cardio-vasculaires (MCV) et neurodégénératives (MAMA : maladie d’Alzheimer et apparentées)). Les niveaux de preuves suggérés ne sont pas représentés
Les possibles contaminations des aliments d’origine animale sont liées à
l’environnement, à l’alimentation des animaux, à la transformation et aux
pratiques de consommation (voir Figure ci dessous).
Les voies de contaminations microbiologiques et chimiques des aliments d’origine animale
La problématique spécifique à l’usage d’antibiotiques pose la double question des résidus dans les aliments et du développement de l’antibiorésistance. Peu de travaux de recherche fournissent des données sur les résidus médicamenteux, de pesticides ou d’autres micropolluants dans les aliments d’origine animale.
Les viandes, les œufs et leurs préparations crues ou peu cuites, et les produits de la pêche (les poissons d’élevage ne sont pas distingués dans les statistiques) totalisent 70 % des toxiinfections alimentaires collectives provoquées par des pathogènes comme Salmonella ou Campylobacter, officiellement déclarées sur la période 2006-2015. Néanmoins, des travaux montrent que l’incidence réelle de ces toxiinfections est vraisemblablement sous-estimée. Quant aux polluants chimiques, les aliments d’origine animale sont les plus forts contributeurs en polluants organiques persistants de type dioxines, furanes et polychlorobiphényles (PCB) dans l’alimentation humaine.
L’effet de la transformation sur les risques chimiques est encore peu
documenté, l’échelle domestique étant rarement étudiée. La toxicité et le
niveau d’exposition aux produits néoformés au cours de la cuisson et de la
fumaison sont peu connus, de même que l’effet cocktail relatif aux possibles interactions entre contaminants chimiques. Cet effet cocktail est d’ailleurs mis en cause dans les risques provenant des matériaux d’emballage en contact avec les aliments. Les additifs entrant dans la formulation des aliments sont également concernés par de possibles effets cocktails.
De nombreux facteurs influencent chaque propriété. Un même facteur peut jouer sur plusieurs propriétés. La multiplicité des facteurs, la combinaison entre eux, voire leurs interactions et interdépendances, permettent de dire que : « la qualité s’élabore » au fil de la production et de la transformation.
Ces facteurs, ou déterminants de la qualité, agissent aux différentes étapes de production et de transformation des aliments : depuis les caractéristiques des animaux, les conditions d’élevage, de transport, d’abattage, de transformation, de conservation, de commercialisation, jusqu’à la préparation en restauration collective ou domestique et la consommation.
Certaines étapes sont majeures pour l’octroi des propriétés des aliments d’origine animale et peuvent représenter un risque d’altérer certaines propriétés ou au contraire une opportunité pour améliorer ou corriger une propriété.
Les modes d’élevage sont particulièrement importants pour certaines
propriétés, notamment celles d’image. Les travaux montrent, qu’en moyenne, les consommateurs ont non seulement une attitude positive à l’égard des modes d’élevage plus respectueux du bien-être des animaux avec un accès à l’extérieur et un espace suffisant, mais qu’ils sont également disposés à payer un prix plus élevé pour les produits issus de tels systèmes. Les modes d’élevage influent aussi sur les propriétés sanitaires. Les élevages en bâtiment où la densité est élevée sont plus sensibles aux maladies contagieuses, à la pollution ambiante et aux contaminants chimiques présents dans les rations. Les élevages avec accès au plein air sont plus exposés aux contaminants environnementaux.
L’alimentation de l’animal est un facteur déterminant des propriétés
nutritionnelles, organoleptiques, commerciales et technologiques des aliments d’origine animale. Un des intérêts nutritionnels des aliments d’origine animale consistant en leur apport en AGPI n-3, les filières animales cherchent à en augmenter la teneur dans les produits. Elle peut être favorisée par l’ingestion d’herbe, notamment pâturée, mais aussi par un enrichissement additionnel de la ration animale avec certaines huiles et graines (lin, par exemple) ou des ingrédients d’origine marine (poisson). Or, cet enrichissement peut provoquer des défauts de propriétés organoleptiques (rancissement) et d’usage (conservation) : l’incorporation doit être limitée et être associée à un antioxydant (vitamine E, par exemple) qui peut être d’origine naturelle (herbe), synthétique ou microbienne (OGM).
Les phases de pré-abattage et d’abattage sont cruciales. Étant sources de stress, des manquements lors du chargement ou de la mise à mort, en passant par le transport et l’attente, peuvent avoir des effets délétères sur les propriétés organoleptiques (par exemple, tendreté), et sur les propriétés technologiques (comme des pertes de rendement à la cuisson). La problématique du bien-être animal, notamment durant le transport et à l’abattoir, est déterminante pour les propriétés d’image. Enfin, une mauvaise maîtrise de l’éviscération met en danger la sécurité sanitaire de la viande.
Les procédés de transformation ont pour premier objectif de garantir la conservation des aliments. Les procédés industriels de cuisson, salage,
fumaison, fermentation… découlent la plupart du temps de traitements
traditionnels. En revanche, l’industrialisation a permis le fractionnement des matières premières alimentaires en ingrédients qui sont ensuite assemblés ou réassemblés offrant une gamme de formulations des aliments très élargie . L’ajout d’additifs permet notamment de jouer sur les propriétés constitutives de la qualité, soit pour les accentuer (sel et sucre : exhausteurs de goût), soit pour compenser des défauts (ex : arômes) ou pour allonger la conservation (ex : sels nitrités). Cette orientation a cependant poussé à standardiser la matière première agricole fournie à l’industrie et, en amont, à réduire la biodiversité des animaux de rente et la diversité des pratiques d’élevage.
Conséquences de l’industrialisation agroalimentaire sur l’évolution de la diversité en amont et en aval de la filière agroalimentaire.
Par ailleurs, la diversification des produits transformés amène à s’interroger sur leur classification. L’EFSA indique ainsi si les produits sont bruts, dérivés ou composites (FoodEx2). Le Nutri-Score classe les aliments selon leur composition nutritionnelle, et la classification Nova selon le degré de formulation des produits, stigmatisant les produits ultra-transformés. La notion d’ultratransformation fait l’objet de controverses : certaines communautés scientifiques lui préfèrent le terme d’ultra-formulation, plus en accord avec les critères de la classification Nova qui ne considèrent pas les procédés de transformation eux-mêmes.
L’absence de données dans la littérature empêche une évaluation de l’impact des procédés de transformation à l’échelle domestique sur la qualité des aliments.
À la croisée de différents objectifs, les aliments d’origine animale sous SIQO (Signes officiels d’identification de la qualité et de l’origine) voient leur part dans la production s’accroitre. En effet, face aux inquiétudes des
consommateurs quant à leur alimentation, les SIQO sont des vecteurs
permettant de restaurer la confiance. Le développement de ces produits
certifiés permet d’une part aux filières d’opérer une montée en gamme et d’en capter la plus-value générée, et d’autre part aux territoires locaux d’intégrer les externalités positives liées à ces produits. Les cinq signes officiels sont : AB (Agriculture Biologique), AOP (Appellation d’Origine Protégée), IGP (Indication Géographique Protégée), STG (SpécialitéTraditionnelle Garantie) reconnus en Europe et le LR (Label Rouge), qui est une spécificité française.
Les SIQO sont strictement encadrés par des cahiers des charges indiquant leurs engagements et ils sont soumis à des contrôles. Il est possible d’analyser les liens entre ces engagements et les différentes propriétés du produit sous SIQO.
La propriété commune à tous correspond à l’image. En effet, les signes officiels permettent de garantir la crédibilité et la fiabilité des produits certifiés, et par là d’en assurer la reconnaissance par les consommateurs. Bien que toutes les propriétés soient au final concernées, chaque SIQO développe des liens privilégiés avec certaines : l’AB s’engage sur des aspects liés aux propriétés sanitaires en promouvant des « procédés qui ne nuisent pas à l’environnement, à la santé humaine (RCE834) », et les AOP, IGP, STG mettent davantage en avant des propriétés organoleptiques liées à la typicité et à la spécificité des produits.
Il est possible de juxtaposer les signes, marques ou mentions valorisantes sur un même produit, à l’exception des signes LR et AOP. Toutefois, la profusion d’informations et de signes et certifications est une source de confusion pour les consommateurs.
Le cas du LR (Label Rouge) est particulier : contrairement aux autres signes, européens, il est le seul uniquement reconnu en France et est associé dans sa définition règlementaire à « un niveau de qualité supérieure (Code Rural R641.2.8) ».
L’exemple de l’analyse des engagements pris dans les cahiers des charges Gros Bovins LR a permis de formaliser comment ces engagements sont liés aux différentes propriétés constitutives de la qualité, les plus concernées étant les propriétés organoleptiques et d’image. La qualité du produit se construit tout au long de sa chaîne d’élaboration à travers des choix initiaux (race notamment), des engagements concernant le troupeau (conditions d’élevage et de transport) et des tris successifs (type sexuel, caractéristiques de la carcasse et de la viande), ainsi que des engagements sur le traitement des carcasses et sur la maturation de la viande (Tableau ci-dessous).
Renforcement des propriétés organoleptiques de la viande par les principaux engagements des cahiers des charges LR Gros Bovins tout au long de la chaîne d’élaboration (vert :engagement sur le troupeau, orange : tri par individu). Les lettres EUROP qualifient le classement de la conformation de la carcasse à l’échelle de l’UE.
De manière générale, les propriétés des aliments d’origine animale issus de
l’agriculture biologique sont plus variables au sein d’une catégorie donnée de produits que celles des aliments d’origine animale issus de l’agriculture
conventionnelle. Cette différence s’explique par une moindre sélection
(volailles), une moindre utilisation d’intrants (ruminants, monogastriques)
et/ou une plus grande variabilité dans les conditions d’élevage
(monogastriques, ruminants). Les effets peuvent aussi être favorables pour une espèce et défavorables pour une autre. De plus, il y a un manque d’études intégrées quantifiant l’équilibre entre ces effets. Par exemple, l’agriculture biologique réduit les risques de résidus médicamenteux et d’antibiorésistance, mais le plein air et la durée d’élevage plus longue des animaux augmentent le risque de bioaccumulation de contaminants environnementaux dans le lait, les
œufs et les viandes. Les effets sur les propriétés d’image sont variables selon le critère considéré (bien-être animal, émissions de GES, surfaces nécessaires) et l’espèce animale. Il est donc difficile de généraliser les résultats. Deux métaanalyses récentes sur le lait et les viandes montrent une amélioration des propriétés nutritionnelles liée à une augmentation des teneurs des produits en AGPI, notamment en AGPI n-3, mais les résultats sont hétérogènes en lien avec la variabilité des conditions d’élevage, notamment d’alimentation. Les résultats sont plus robustes pour le lait que pour les viandes du fait du nombre d’études considérées et d’un risque de biais lié à une moindre teneur en lipides des viandes issues de l’agriculture biologique. Par ailleurs, une étude épidémiologique pionnière portant sur une cohorte de mangeurs français a récemment conclu à des bénéfices santé d’un régime alimentaire comportant une part importante d’aliments (d’origine animale et végétale) issus de l’agriculture biologique. Ces premiers résultats restent délicats à généraliser.
L’analyse de la littérature montre qu’il y a beaucoup plus d’études sur
l’authentification des conditions d’élevage et de l’origine de l’animal dont est issu le produit que sur celle des conditions de transformation et de conservation du produit. Si les méthodes de contrôle de l’adultération d’espèces (par exemple, mélanges frauduleux de viandes ou de laits de différentes espèces animales) sont opérationnelles, les travaux conduits jusqu’à présent sur les autres enjeux d’authentification, comme l’alimentation à l’herbe, ont, pour beaucoup, été de type « preuve de concept ». Elles ont en effet comparé des conditions extrêmes d’élaboration du produit ou de son origine, favorables à la discrimination de ces conditions, avec souvent un nombre assez faible d’échantillons. Il est désormais nécessaire de tester la fiabilité de ces méthodes dans des conditions moins contrastées, sur des effectifs plus importants et de
développer des bases de données suffisantes pour passer au stade
opérationnel.
Certains facteurs déterminants de la qualité des aliments d’origine animale
peuvent induire des antagonismes entre propriétés ; sont ici présentées les tensions actuellement débattues. Par ailleurs, il peut aussi y avoir des synergies entre propriétés et entre étapes de production et de transformation ; nous les illustrons sur l’exemple du jambon sec.
La sélection génétique des animaux de rente a privilégié les propriétés
commerciales comme la masse musculaire. Or, certaines espèces animales
(poulet, porc, mais aussi poisson) présentent fréquemment une déstructuration de leurs tissus musculaires qui compromet leur appréciation par les consommateurs et leur aptitude à la transformation, voire interroge sur le maintien de la fonction physiologique du tissu musculaire in vivo et par conséquent sur l’état de santé des animaux. Bien qu’encore mal connue, la cause avancée par les chercheurs est la sélection excessive vers des animaux lourds, au rendement en viande ou chair élevé.
Le devenir des mâles est une problématique majeure dans les filières laitières et de ponte ayant spécialisé la fonction productive des animaux et pour lesquelles seules les femelles productrices ont un intérêt économique. Dans la filières œufs, les poussins mâles sont actuellement éliminés à la naissance ; devant la pression sociétale, les gouvernements français et allemands ont annoncé l’interdiction du broyage des poussins mâles en 2021 . Dans la filière caprine, une partie des chevreaux mâles ne trouve pas non plus de débouchés
dans la chaîne alimentaire humaine ; ils sont très difficiles à valoriser. Le sexage in ovo, l’utilisation de souches à double finalité (œufs et viande) ou de races mixtes (lait et viande) ou encore le croisement entre races sont des pistes d’action à instruire.
La castration des porcs mâles illustre l’antagonisme entre les propriétés d’image relatives au bien-être animal et certaines propriétés organoleptiques.
La viande de mâle non castré peut en effet présenter une odeur et une flaveur indésirables. La castration à vif recule en France et est interdite en Espagne, Irlande et au Royaume-Uni. La production de porcs mâles entiers et celle de porcs mâles immunocastrés (vaccination spécifique contre l’hormone GnRH et qui inhibe le développement sexuel du porc) se développent, notamment aux Pays-Bas. Des travaux cherchent également à prédire les carcasses odorantes directement sur la chaîne d’abattage.
L’alimentation protéique des poissons en aquaculture est habituellement d’origine marine (huile ou farine de poisson) mais de plus en plus substituée par des apports végétaux (soja, colza, lupin) en réponse aux critiques sur la pêche minotière, à la diminution des ressources aquacoles et à leur contamination chimique. Cette substitution végétale favorise les propriétés d’image des poissons, mais modifie leurs propriétés nutritionnelles : diminution des teneurs de la chair en omégas 3 à longue chaîne (EPA et DHA) bénéfiques pour la santé humaine. Le profil en acides gras peut être restauré par un retour à une alimentation marine en finition avant l’abattage. En revanche, si la substitution végétale permet de réduire la contamination en éléments traces métalliques et en polluants organiques persistants, en particulier les biphényles polychlorés de la chair des poissons, elle augmente le risque de contamination par d’autres polluants, tels que les pesticides, les mycotoxines et les hydrocarbures aromatiques polycycliques.
Le nitrite de sodium (et le nitrate de potassium) sont utilisés en tant que conservateurs dans la charcuterie (propriété d’usage) et préviennent du développement de pathogènes (propriété sanitaire). Ces additifs ont également la propriété de stabiliser la couleur des produits et d’être de puissants antioxydants. En 2017, l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) a conclu que les niveaux de nitrosamines se formant dans l’organisme à partir des nitrite et nitrate ajoutés sont peu préoccupants pour la santé humaine, pour les niveaux autorisés d’apports de nitrite et nitrate. Mais, en 2010, le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer) a classé les nitrites et nitrates ingérés dans la catégorie « 2A -probablement cancérigène ». Des recherches s’orientent actuellement vers les moyens de réduire le risque de formation de nitrosamines
au cours de la digestion des charcuteries, en revoyant la formulation en
additifs (ajout d‘antioxydant), en réduisant l’utilisation des nitrites ou en
substituant les nitrites ajoutés par des alternatives aux caractéristiques
comparables (céleri, acides organiques). Le potentiel gain santé pour les
consommateurs ainsi que les effets sur les différentes propriétés constitutives de la qualité des charcuteries de ces alternatives demandent à être évaluées.
Les prairies des exploitations d’élevage en agriculture biologique sont souvent plus riches en légumineuses (dont en particulier le trèfle blanc) du fait de l’interdiction de l’apport d’azote de synthèse. La consommation de
légumineuses est favorable pour les propriétés nutritionnelles de la viande : ces plantes sont plus riches en feuilles et en matières grasses que les graminées, et elles transitent plus rapidement dans le rumen, ce qui limite la biohydrogénation des acides gras d’intérêt (AGPI n-3). Le profil en acides gras des lipides de la viande est alors amélioré. Cependant, l’ingestion de légumineuses diminue la fermeté du gras de couverture et, surtout celle de trèfle blanc, augmente les risques de défauts d’odeur et de flaveur de la viande, en lien avec l’augmentation de la teneur de la viande en scatol, un composé malodorant (Tableau ci-dessous).
Effets de l’élevage biologique chez les agneaux d’herbe
Un compromis peut être trouvé en terminant l’engraissement de l’agneau
pendant une courte durée en bâtiments (3 semaines), car le scatol a une
faible persistance dans les tissus et cela ne dégrade pas trop le profil en acides gras de la viande. Une autre possibilité serait de mieux sensibiliser
les consommateurs aux caractéristiques de la viande d’agneau d’herbe.
Certaines productions mettent à profit des synergies naturellement existantes entre différentes propriétés, et entre l’étape de production et l’étape de transformation. Le jambon sec en est un exemple classique, qui met en œuvre des synergies entre propriétés technologiques et organoleptiques notamment.
Plus que pour la majorité des produits de salaison, la qualité du jambon sec dépend de celle de la matière première et on observe ainsi une synergie entre la production et la transformation. L’élevage extensif incluant la consommation de ressources locales permet d’optimiser les propriétés de la matière première :
forte accrétion lipidique, couleur plus sombre, arômes typés. Ces jambons sont alors plus gras, notamment en gras de couverture (présent sous la couenne), et mieux adaptés au séchage, ils ont donc des propriétés technologiques renforcées, et en même temps sont dotés de propriétés organoleptiques très spécifiques. Ces synergies sont d’autant plus fortes lorsque le choix se porte sur des races locales et des individus plus âgés (porcs lourds). À noter que dans les systèmes extensifs, la consommation par les porcs de ressources naturelles riches à la fois en AGPI n-3 et en antioxydants permet d’enrichir naturellement la viande en AGPI n-3 tout en évitant leur oxydation excessive et d’éviter ainsi de possibles antagonismes dans les propriétés nutritionnelles (Figure ci dessous).
La mise en évidence des antagonismes conduit à la recherche de solutions pour dépasser ces effets contradictoires. Comme détaillé dans les exemples précédemment cités, ces solutions peuvent consister à établir un équilibre entre les effets positifs et négatifs (élevage de l’agneau à l’herbe avec une fin d’engraissement en bergerie) ou à trouver une solution technique pour contrer les effets délétères (détection des carcasses odorantes de porcs mâles non castrés). Néanmoins, ces compromis sont parfois levés en soulevant de nouvelles contraintes et avec des effets eux-mêmes critiquables, comme dans le cas des potentiels substituts aux nitrites. En conclusion, aucun système n’est
gagnant sur toutes les propriétés en même temps.
Les différentes dimensions de la qualité peuvent être en tension, de même que les intérêts des différents acteurs. Ce constat met en exergue le besoin de rechercher des voies de compromis entre différentes propriétés et entre différents acteurs et de disposer d’outils pour ce faire.
L’analyse multicritère a pour objectif d’aider un décideur à faire un choix dans un environnement multidimensionnel en se basant sur un processus de décision déterminant la meilleure solution ou le meilleur compromis, selon ses préférences. Le rôle des décideurs est primordial car les résultats obtenus sont à mettre en perspective selon les pondérations et compensations accordées aux différents critères, ainsi qu’aux allocations réalisées et aux unités fonctionnelles choisies.
De nombreuses études traitent de la durabilité à l’échelle de l’élevage. D’autres, très récentes, s’intéressent davantage à la transformation (procédés, en particulier la cuisson, l’emballage et la conservation). Celles-ci permettent d’identifier les scénarios de transformation optimisant le compromis entre les propriétés sanitaires, d’usage, d’image (notamment l’impact environnemental) et commerciales (par exemple la prise en compte des rendements en viande).
Ces analyses multicritères ont encore du mal à couvrir le continuum
d’opérations depuis la production jusqu’à la préparation culinaire. Une étude originale récente portant sur un aliment composite, la pizza, a cherché à identifier le meilleur compromis entre les dimensions environnementales, organoleptiques et nutritionnelles dans un objectif de reformulation, à partir de 360 recettes différentes. Il ressort que ce sont les pizzas surgelées qui offrent le meilleur compromis. Cet exemple montre l’intérêt du développement de méthodologies et d’indicateurs pour la gestion des nombreuses propriétés des produits alimentaires à concilier.
Les analyses multicritères donnent également à voir l’évolution des rapports de force entre acteurs. Cette évolution bouscule le compromis et les pondérations entre les différentes propriétés. Les attentes des consommateurs en matière de « naturalité » et leur recherche d’une plus grande « valeur morale » dans leur alimentation découlent du lien qu’ils font entre santé, éthique et aliments. La période récente voit des initiatives répondre à ces attentes. La marque « C’est qui le patron ? » permet, par exemple, de positionner le degré d’engagement attendu et de calculer le « juste » prix en s’appuyant sur les coûts associés aux choix des consommateurs. Le numérique est sollicité, notamment avec le développement de nombreuses applications mobiles. Yuka en est un exemple, déjà en fonctionnement, qui note les produits alimentaires en combinant leur qualité nutritionnelle, basée sur le Nutri-Score (60%), les additifs (30%), et une dimension environnementale au travers de la certification AB ou non des produits (10%). Un projet en cours d’élaboration par des acteurs privés « C’est quoi ce produit ? » va plus loin dans l’approche multicritère en permettant d’identifier le meilleur produit selon les critères que le consommateur aura choisi par rapport à ses attentes personnelles. Néanmoins, le compromis mis en œuvre dans ces différents outils et applications nécessite une réelle transparence sur leur cahier des charges pour se prévaloir d’une analyse multicritère valable pour tous.
Cet article est basé sur le résumé (rédigé par Nicole Ladet de l’INRAE) du rapport de l’expertise scientifique collective réalisée par INRAE (Prache S. et Santé-Lhoutellier V. en sont les pilotes scientifiques) à la demande du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et de France AgriMer en Mai 2020.
Pour en savoir plus :
Prache S. et Santé-Lhoutellier V. (pilotes scientifiques), Adamiec C., Astruc T., Baeza-Campone E., Bouillot PE., Clinquart A., Feidt C., Fourat E., Gautron J., Guillier L., Kesse-Guyot E., Lebret B.,
Lefevre F., Martin B., Mirade PS., Pierre F., Remond D., Sans P., Souchon I., Girard A., Le Perchec S., Raulet M., Donnars C., 2020. Qualité des aliments d’origine animale, Synthèse de
l’expertise scientifique collective, INRAE (France), 125 pages.
Prache S. et Santé-Lhoutellier V. (pilotes scientifiques), Adamiec C., Astruc T., Baeza-Campone E., Bouillot PE., Bugeon J., Cassar-Malek I., Clinquart A., Coppa M., Corraze G., Donnars C., Ellies
MP., Feidt C., Fourat E., Gautron J., Girard A., Graulet B., Guillier L., Hocquette JF., Hurtaud C., Kesse-Guyot E., Lebret B., Lefevre F., Le Perchec S., Martin B., Médale F., Mirade PS., Pierre F.,
Raulet M., Remond D., Sans P., Sibra C., Souchon I., Touvier M., Verrez-Bagnis V., Vitrac O., 2020, Qualité des aliments d’origine animale, Rapport de l’expertise scientifique collective, INRAE
(France), 1200 pages.