Quel lait buvez vous ?

1984. souvenez-vous, c’est l’année de mise en place des quotas laitiers en Europe, pour 5 ans croyait-on alors.
La production du lait a été limitée pendant plus de 30 ans au final, afin d’en stabiliser le prix.
Mais depuis le 1er avril 2015, plus de quotas. D’où un déséquilibre entre l’offre et la demande, entraînant une crise dramatique chez les éleveurs français. On entend peu parler, dans les débats et commentaires, d’une de ses conséquences : une évolution dans l’alimentation des bovins. Pour faire face à la chute des prix, les éleveurs disposent de peu de leviers. L’un d’eux est de tenter de réduire les coûts d’élevage, parmi lesquels les frais de nourriture : en augmentant le pâturage, en modifiant le choix des « concentrés » (une complémentation de la ration fourragère). Ça n’est pas anodin. Savoir ce qu’a mangé une vache, c’est connaître la qualité de son lait. En tant que consommateur, comment pouvons-nous le savoir ?
le lait que nous buvons tous les jours n’a plus grand-chose à voir avec la matière première produite par les éleveurs. Dégraissé, homogénéisé, chauffé, le lait est standardisé. Il perd tant ses « bonnes » bactéries que les mauvaises. Seul le lait cru contient encore sa flore, capable de combattre les bactéries pathogènes. Mais il doit être consommé dans les 3 jours au frigo, et certains le déconseillent aux personnes souffrant d’une faiblesse du système immunitaire. Certes, le lait industriel n’est pas dangereux et se conserve longtemps, mais quelle doit être sa place dans notre alimentation ? Nous sommes plusieurs générations de consommateurs à avoir été élevés dans la certitude qu’il fallait en absorber de bonnes quantités pour ne pas manquer de calcium et avoir des os solides (et lutter contre l’ostéoporose, pour les femmes). Un postulat sur lequel de récentes études scientifiques reviennent.

Lait bio ou de montagne, cru ou stérilisé, mentions figurant sur les étiquettes, « laits » végétaux, allergie, intolérance au lactose. .. : découvrez notre passionnante enquête pour tout savoir sur le lait et bien le choisir.

 Quel lait buvez vous ?

 « Papa, c’est quoi cette bouteille de lait : »

Si la question prête à sourire tant la publicité est encore présente dans nos esprits, la réponse est moins évidente. Tour d’horizon des pratiques de l’industrie agroalimentaire, pour vous aider à mieux choisir un aliment qui, malgré les polémiques, fait partie de notre quotidien.

Au petit déjeuner, vous ne concevez pas de boire votre café sans une bonne rasade de lait ? Vous cédez volontiers à une tasse de chocolat à l’heure du goûter ? Vous utilisez aussi du lait en cuisine ? Si, comme chaque Français, vous en consommez 51 litres par an, autant le choisir avec discernement. Le lait vendu en supermarché, transformé, industrialisé , n’a plus grand-chose à voir avec la matière première brute, le lait tout juste sorti du pis de la vache, que nos grand-mère, enfant, allaient chercher à la ferme. Alors, savez-vous vraiment ce que vous buvez ?

À l’exception du lait cru, les laits vendus en bouteille ou en brique présentent un taux de matières grasses (MG) différent, mais constant, selon qu’ils sont écrémés (inf. à 5 g/l), demi-écrémé : (de 15 à 18 g/l) ou entier (36 g/l). « Ce taux varie en fonction de la race de la vache, de son alimentation, de son stade de lactation, de la saison...

 La standardisation du lait

Standardiser le lait permet de « proposer au consommateur un produit identique toute l’année », explique Johnny Grippon, responsable commercial de la laiterie Les Fayes, dans le Limousin. Cette standardisation permet aussi aux transformateurs de rentabiliser davantage le lait. Le taux de MG du lait cru varie entre 35 et 45 g par litre. Avec le surplus de crème (quasi systématique vu les valeurs légalement fixées des taux de MG du lait), les transformateurs fabriquent du beurre, de la crème. . . Ils récupèrent aussi à partir du lait écrémé du lactosérum et des protéines (caséine, caséinate, protéines solubles) qui seront revendus à l’industrie agroalimentaire, cosmétique, pharmaceutique ou chimique pour leurs propriétés texturantes, émulsifiantes... C’est ce qu’on appelle le cracking du lait.

 Plus ou moins riche en oméga 3

Si le taux de MG est standardisé, qu’en est-il de la qualité lipidique ? Les laits les plus intéressants sont ceux qui contiennent des oméga 3, dont « l’alimentation des Français est dramatiquement déficitaire : 0,90 au lieu de 1,80 g par jour recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ce déficit, joint à l’excédent en oméga 6 et en acides gras saturés, comme le palmitique, constitue un facteur de risque pour le développement des troubles cardiovasculaires et d’autres affections : arthrite, maladie d’Alzheimer, certains cancers. . ., rappelle Michel Duru, directeur de recherche au sein de l’unité mixte de recherche (UMR) Agro écologie, innovations et territoires à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). Des vaches et des brebis nourries à l’herbe pâturée, fauchée ou ensilée donnent un lait plus riche en oméga 3 et moins chargé en acide palmitique que celui issu de vaches nourries avec du maïs et du soja. Ce lait devient équilibrant et protecteur pour notre santé, puisqu’il augmente l’apport en oméga 3, réduit celui en acide palmitique et diminue le pourcentage d’oméga 6 par rapport à celui d’oméga 3. Mais plus de la moitié du lait est produit par des vaches nourries avec du maïs et du soja . Un tel lait est, lui, déséquilibrant.

 Ce que mange une vache est capital

Mais comment le savoir avec certitude. Pour cela, la première solution est d’acheter un lait de montagne vendu environ 20 cts plus cher que le lait basique (de 0,90 à 1,10 € le litre). « Vous êtes ainsi quasi assuré qu’à la belle saison, l’animal a pâturé des végétaux d’une grande diversité, ce qui permet le transfert dans le lait, en plus des oméga 3, d’antioxydants, comme des caroténoïdes et des polyphénols, indique Anne Ferlay, directrice de recherche au sein de l’UMR sur les herbivores à l’Inra. En altitude, les agriculteurs ne peuvent pas cultiver de maïs. L’hiver, les animaux sont donc nourris avec du foin ou de l’ensilage d’herbe. Cela dit, au printemps, toutes les vaches pâturent, y compris celles de plaine. Les laits basiques sont alors d’assez bonne qualité, ce qui est moins le cas en hiver. »
Autre solution : opter pour du lait bio, qui coûte de 10 à 20 cts de plus que le lait de montagne. « Le cahier des charges AB nous oblige à faire pâturer les vaches dès que les conditions météorologiques le permettent, à savoir pendant les trois quarts de l’année, déclare Éric Guihéry, secrétaire de la Fédération nationale de l’agriculture biologique. En hiver ; nos vaches mangent surtout du foin ou de l’ensilage d’herbe. Elles peuvent recevoir une petite quantité d’ensilage de maïs tant que cela ne déséquilibre pas leur ration ; sinon, il faut la corriger avec du trèfle, de la luzerne ou du soja bio, qui coûtent très cher. Économiquement, cela n’aurait pas de sens, compte tenu de la valorisation du lait : 45 cts le litre de lait bio, contre de 25 à 30 cts le litre de lait conventionnel au départ de la ferme. »
Pour Michel Duru, les laits issus de la filière Bleu-Blanc-Cœur sont également intéressants pour leur teneur en oméga 3, due à l’alimentation des vaches enrichie en graines de lin. Anne Ferlav est plus mesurée : « Quand une vache mange exclusivement de l’herbe fraîche, son lait est moins riche en acides gras trans (qui favorisent l’apparition de maladies cardiovasculaires) que lorsque le pâturage ou une ration d’ensilage de maïs sont complémentées avec des graines de lin. Les laits de cette filière peuvent, néanmoins, être intéressants en hiver, comparés à un lait provenant de rations à base d’ensilage de maïs. »

Quant aux taux de protéines et de calcium, ils varient très peu d’un lait cru à l’autre : pour 100 ml, de 3,20 à 3,40 g de protéines et 120 mg de calcium. « Le taux de calcium varie, cependant, en fonction de la durée du jour : il sera légèrement inférieur à la belle saison », précise Anne Ferlay. Ces mêmes valeurs se retrouvent sur l’étiquette d’un lait standardisé. Autrement dit, si vous estimez que votre alimentation est suffisamment riche en oméga 3 et si vous vous contentez d’un lait basique, sachez que sa composition nutritionnelle est toujours identique. Optez alors pour un lait premier prix, moins cher qu’un lait de marque nationale. En achetant ce dernier, vous ne feriez que participer au financement de ses campagnes publicitaires. Il est d’ailleurs possible qu’un même lait soit vendu à la fois sous marque nationale et parmi les premiers prix. La même estampille sanitaire (qui indique la référence de la laiterie collectant le lait) figurant sur 2 briques de marques différentes n’assure pas qu’elles contiennent un produit identique, mais il y a des chances que œ soit le cas. En effet, en principe, quand ils arrivent à la laiterie, tous les laits produits aux environs sont mélangés, à l’exception des laits bio ou d’appellation « lait de montagne ».

 L’homogénéisation du lait : une opération mécanique pas si innocente !

Un lait standardisé est en principe homogénéisé.
L’homogénéisation consiste à éclater les globules gras, afin que la crème ne remonte pas à la surface du lait. « Cette pratique est née d’une demande des consommateurs, qui perçoivent ce “bouchon de crème” comme quelque chose de désagréable », souligne Hélène Pérennou, secrétaire générale de Syndilait-IPLC, l’organisation professionnelle regroupant les transformateurs de lait. Pour Véronique Richez-Ierouge, journaliste et auteure de La vache qui pleure ! (éd. Nouveau Monde), « cette technique permet surtout de conserver le lait plus longtemps. Si la crème était agglomérée, elle s’oxyderait plus rapidement et rancirait. L’homogénéisation répond à la logique économique des industriels plus qu’aux besoins des consommateurs ». L’auteure suspecte aussi un problème sanitaire lié à cette technique : ces molécules de trop petite taille ne seraient pas reconnues par l’intestin et passeraient dans le sang, ce qui augmenterait le taux de cholestérol. Par ailleurs, le gras ainsi déstructuré ne procurerait plus l’effet de satiété attendu et pousserait à manger davantage. Un point de vue que ne partage pas Didier Dupont, directeur de recherche de l’UMR Science et technologie du lait et de l’œuf (STLO) à l’Inra : « Un lait homogénéisé contient des petites gouttes. La surface d’interaction avec les enzymes digestives est plus importante. Cela ne peut qu’accélérer la digestion des lipides dans le tube digestif. »

 Le lait subit un traitement thermique

Afin qu’ils se conservent plus longtemps avant l’ouverture, les laits standardisés subissent un traitement thermique qui détruit les micro-organismes (bactéries, champignons, levures). La stérilisation UHT permet une très longue conservation à température ambiante, puisque le lait ne contient plus alors aucun micro-organisme vivant, ni positif ni pathogène. L’exigence de conservation semble bien ancrée chez les Français, ces laits stérilisés UHT représentant 97,50 % du marché !

Le lait pasteurisé, chauffé entre 72 et 85 °C pendant environ 15 secondes, doit normalement contenir encore une flore vivante, la pasteurisation ne visant à détruire que les bactéries pathogènes. Or, ce n’est pas ce qu’a constaté Véronique Richez-Lerouge, qui a fait analyser 15 laits. « À l’exception du lait Gabarit, les laits pasteurisés sont aussi morts que les laits UHT : dénonce-t-elle dans son livre. Ils ne contiennent pas plus de micro-organismes que les laits UH T. C’est scandaleux, car on nous vend plus cher le lait pasteurisé, nous laissant entendre que ces produits sont plus intéressants. Leurs dates de péremption, écourtées, n’ont aucune valeur puisqu’en pratique, s’ils ne contiennent pas de micro-organismes, ces laits pourraient se conserver aussi longtemps que des laits UHT. » affirme Sylvie Lortal directrice de recherche au sein de l’UMR STLO, n’est pas surprise par ces résultats : « Quand les laits sortent de la ferme, ils sont déjà très propres, beaucoup plus qu’il y a une cinquantaine d’années, grâce à des exigences sanitaires réglementaires accrues chez les éleveurs. Il n’est donc pas étonnant que la flore lactique des laits pasteurisés soit extrêmement réduite. Mais il faut relativiser l’impact de cette faible proportion dans notre alimentation. Si on veut consommer des aliments riches en bactéries lactiques, on peut opter pour des yaourts ou des fromages au lait cru, qui en contiennent plus d’un milliard par gramme de produit. »

 Lait UHT, stérilisé ou cru, cela change le goût

Selon le traitement thermique qu’il a reçu, le lait n’a pas le même goût. Le lait stérilisé UHT est légèrement vanillé « à cause des composés issus de la réaction de Maillard, due à l’interaction entre les sucres et les protéines chauffés », explique Didier Dupont, qui souhaite mener dans les prochains mois une étude sur les éventuels risques induits par cette réaction. Le lait portant seulement la mention « stérilisé » (chauffé pendant 15 à 20 min, et non à ultra haute température) a un goût de cuit ou de caramélisé, toujours dû à cette réaction. Moins riche en composés de ce type, le lait pasteurisé a une saveur légèrement plus persistante que le lait UHT. Le goût du lait micro-filtré (il n’a pas subi de traitement thermique ; la crème est pasteurisée et le reste fi1tré pour retenir les bactéries, puis les 2 parties sont mélangées à nouveau) se rapproche de celui du lait cru. Mais qui veut retrouver le vrai bouquet du lait optera pour du lait cru, s’il en trouve en magasin bio notamment. Comme il est simplement réfrigéré à 4 °C, son terroir peut s’exprimer par les micro-organismes qu’il contient et grâce à sa forte teneur en MG, car ce sont elles qui fixent les arômes. Ne subissant pas de traitement thermique, le lait cru doit se consommer dans les 3 jours suivant la traite. « On n’est pas sûr à 100 % qu’il ne renferme pas de bactéries pathogènes, comme la listeria ou des salmonelles. Il ne faut donc pas leur laisser le temps de se développer » insiste Hubert Bazin, consultant en sécurité sanitaire, qui travaille avec les entreprises de l’agro-alimentaire. Cela dit, l’intérêt d’un lait cru par rapport à un lait UHT c’est sa flore bactérienne, qui pour ra prendre le dessus sur d’autres bactéries éventuellement pathogènes si elle en rencontre. Alors qu’un lait stérile serait finalement plus dangereux en cas de rencontre avec une bactérie pathogène. Toutefois comme il y a toujours un petit risque avec le lait cru, je le réserverai aux personnes en bonne santé et le déconseillerai à celles qui ont une faiblesse du système immunitaire notamment les personnes âgées, les jeunes enfants et les patients immunodéprimés. »

 Le lait cru stimule le système immunitaire

La récente littérature scientifique semble encourager la consommation de lait cru. Selon l’étude européenne Parure, menée depuis 2003, en consommer stimule le système immunitaire et protège l’enfant contre les maladies allergiques (rhume des foins, asthme, dermatite atopique. . .) et les infections respiratoires. « Surtout pendant les 18 premiers mois de la vie, explique Dominique-Angèle Vuitton, professeure émérite d’immunologie clinique à l’université de Franche Comté, chargée de cette étude avec Jean-Charles Dalphin, professeur de pneumologie. Cette protection est accentuée si la mère a bu du lait cru pendant sa grossesse. Après les 18 mois de l’enfant, cet effet se poursuit, mais diminue un peu, d’autres facteurs environnementaux entrant en ligne de compte, notamment l’alimentation. » Le laboratoire de recherches fromagères de l’Inra vient, quant à lui, de se pencher sur l’impact de la consommation de flores vivantes sur l’activité intestinale, et plus largement sur la santé humaine.
« Ces travaux devraient permettre de reposer la question des bénéfices-risques des produits contenant des micro-organismes, car une fausse croyance laisse penser que les micro-organismes sont seulement des ennemis, ce qui est loin d’être le cas. La richesse du lait cru, et plus généralement des aliments contenant des micro-organismes vivants, est probablement plus importante que ce qui était escompté », révèle Christophe Chassard, directeur de recherche au sein de cette structure. Nos habitudes alimentaires, ancrées dans la consommation de lait UHT, pourraient donc évoluer sous l’impulsion de nouvelles découvertes.